Dans son ouvrage clé, L’imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Benedict Anderson définit la nation comme « une communauté politique imaginaire et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine » (Anderson, 1996. P. 19).
De cette définition lucide et complexe, il paraît important de distinguer l’idée de imaginaire et imaginée. Anderson explique :
Elle est imaginaire (imagined) parce que même les membres de la plus petite des nations ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens : jamais ils ne les croiseront ni n’entendront parler d’eux, bien que dans l’esprit de chacun vive l’image de leur communion (1996, p. 19)
Le théoricien va plus loin, en proposant que « en vérité, au-delà des villages primordiaux où le face-à-face est de règle (et encore…) il n’est de communauté qu’imaginée. » (1996, p. 20)
Je voudrais reprendre le concept de communauté imaginaire pour me référer à l’Université Catholique Andrés Bello (UCAB) et aborder des brèves réflexions sur le projet « Valores en Tránsito » (Valeurs en transit). Ma proposition principale est que cette initiative utilise l’éthique et l’esthétique comme des outils pour la recréation dynamique de la communauté imaginaire de l’université.
L’éthique du dialogue
« Valores en Tránsito » place le dialogue au cœur de sa structure interne et des ses expressions. Ce dernier dirige les manières de s’organiser et d’exister.
La conception même du projet ouvre la porte aux échanges. Il s’agit d’une intervention née de la recherche interdisciplinaire et mise en scène grâce aux efforts d’une équipe de plus d’une dizaine de personnes ressortissant des disciplines et savoir-faire variés.
L’initiative, comme indiqué dans son nom, parle de valeurs. Mais les discours ne se construisent pas à partir d’une position hégémonique ni n’ont l’intention de devenir vérités uniques.
Dans l’installation typographique, les pensées des intellectuels, professeurs, étudiants et autres membres de l’écosystème Ucabista se mélangent et confondent dans une égalité de d’apparition. Les discours se tissent dans le couloir du troisième étage du bâtiment principal et proposent différentes lectures. Il n’y a pas un parcours unique ni une trajectoire obligatoire. La variété d’expériences est le signe du succès de l’installation. D’ailleurs, l’intervention s’ouvre à l’enrichissement par d’autres médias : l’inclusion des codes QR et du hashtag #valoresentránsito invite à la discussion dans l’Internet.
L’UCAB est une université catholique et, dans les affiches conçues par Santiago Pol, apparaît la croix comme symbole évidente de l’orientation chrétienne. Mais l’imagerie religieuse n’est pas mise en avant dans ces œuvres. Ce sont plutôt les mains, qui signifient la communion, le travail, et le contact humain. La campagne a pleine conscience de la population diverse de l’institution et ne cherche ni à les écarter ni à les convaincre. Elle a pour but souligner ce qu’il y a de commun, ce qui nous lie.
L’esthétique de la typographie et de la couleur
Les œuvres inclues dans l’installation ne sont que seulement bien pensées dans le cadre conceptuel. Elles sont aussi soigneusement travaillées du point de vue esthétique.
Dans l’installation du couloir, Teresa Mulet, designer et typo-graphiste, a réalisé un travail d’appropriation des typographies contemporaines pour qu’elles soient familières aux passants.
Dans les affiches, Santiago Pol, artiste visuel et graphiste, a continué l’interprétation (commencée il y a plus de trente ans) des couleurs propres à la géographie vénézuélienne.
Quant à l’équipe de production, il y a eu un travail détaillé et minutieux de recherche de matériaux et de modes d’installation pour rester fidèles aux intentions des créateurs.
Le résultat est une série des compositions attirantes et émouvantes qui s’installent dans le répertoire visuel des spectateurs. Elles sont simples, elles sont belles, elles sont actuelles.
La construction dynamique
« Valores en Tránsito » est un exercice de création d’identité. Tout comme les nations décrites par Anderson, la UCAB s’invente, mais elle utilise des mécanismes différents. À travers la jouissance esthétique, la possibilité de s’approprier, de participer, de dialoguer, la communauté imaginaire Ucabista se réaffirme et se renouvelle sans cesse. Réaffirmation et renouvellement, bien qu’ils paraissent être des opérations contradictoires, constituent une tension nourrissante et une construction dynamique, souhaitées spécialement pour une institution qui s’occupe à la fois de la conservation, de la transmission et de la production du savoir.
ANDERSON, B., L'Imaginaire National: réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, 1996, La Découverte, Paris
Note : Mes remerciements à Héloise Mérard pour les corrections de grammaire et ortographie.